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Contraception digitale : vraie réponse et fausse hormonophobie ?

Contraception digitale : vraie réponse et fausse hormonophobie ?

Contraception digitale : vraie réponse et fausse hormonophobie ?

/ SOCIETE / Monday, 31 October 2022 18:52
Par Dr Danielle Choucroun 

De 2010 à 2018 l’usage de la contraception orale chute de 50 à 32% chez les femmes de 15 à 49 ans, évolution ou plutôt involution de l’usage des contraceptifs hormonaux, catalysée par la crise contraceptive de 2012.

 En même temps, en 2019 le nombre d’IVG en France atteint son plus haut niveau depuis 30 ans avec 232000 IVG pratiquées, pour se stabiliser autour de 220000 en 2020 et 2021.

 L’hormonophobie expliquerait-elle le désaveu des méthodes de contraception hormonale ? Pas si sûr, puisque 2,2 millions de boites de contraception d’urgence sont vendues chaque année en France dont 2/3 de lévonorgestrel contenant jusqu’à 15 fois plus « d’hormones » que la pilule journalière. (HRA-pharma 07/2022)

 Le refus de la contraception médicale pourrait-il témoigner d’une volonté d’émancipation du pouvoir médical, et, en quelque sorte, constituer une réaction post-oppression face aux comportements parfois patriarco-paternalistes des professionnel.l.es de santé ?

 Dans tous les cas la volonté d’autonomisation face aux tutelles scientifiques est particulièrement présente depuis quelques années menée de façon informelle par les influenceurs.euses mais peut-être aussi de façon plus structurée par l’émergence de la FemTech dans le paysage digitalo-sanitaire.

 Ida Tin, CEO de Clue, crée le terme FemTech en 2016, contraction de female technology. Les objectifs sont multiples :  répondre tout d’abord à l’absence d’offre spécifique en direction de la santé des femmes, activer la synergie savoirs médicaux-nouvelles technologies, donner une visibilité et une légitimité à une innovation technique spécifique des problèmes féminins perçus comme négligés ou sous-estimés par le corps médical.

La FemTech active tous les leviers des nouvelles technologies de l’information et de la communication : partage de connaissances, empowerment des utilisatrices, création et développement de communautés digitales, présence sur les réseaux sociaux.

Mais la FemTech est également un puissant collecteur de data et se trouve à l’origine de partenariats technico-scientifiques prometteurs avec les plus grands centres de recherches scientifiques : Columbia, Oxford, Stanford, Kinsey Institute et bien d’autres.

 La FemTech se positionne comme alliée des professionnels de santé afin de faciliter leur travail et le rendre plus efficace par une présence, une interactivité et une disponibilité permanentes en faveur de ses utilisatrices.

 La première App se revendiquant contraception digitale est approuvée par la FDA en 2018 : la patiente y reporte les données de son cycle. La prise quotidienne de température est requise par le fonctionnement de l’algorithme qui établit les périodes fertiles et infertiles. En 2021 la FDA va également approuver pour l’usage contraceptif, une App qui ne requiert plus la prise de température quotidienne : l’algorithme exploite uniquement les dates de survenue des menstruations. Ces contraceptions digitales, ayant reçu l’agrément de la FDA, rapportent une efficacité contraceptive de 92% en usage typique versus 93 % pour la contraception œstroprogestative.

Ces App ont été testées pour les femmes de 15 à 45 ans et ne sont pas utilisables lorsqu’il existe des troubles du cycle.

  La FemTech raffole des buzz words et des nouvelles terminologies. Ainsi les menstruations App deviennent les digital contraceptive et surfent sans complexe sur les failles réelles ou imaginées des produits et services de santé conventionnels : sans effets secondaires, sans ordonnance, sans intermédiaire, immédiatement et à domicile.

L’App fidélise la personne utilisatrice par des fonctionnalités multiples allant au-delà du simple report des dates de menstruations : douleurs de règles, infection, activité sexuelle, difficultés à atteindre l’orgasme, liste non exhaustive, toutes ces problématiques peuvent y être rapportés, parfois pour partager des expériences dans les communautés virtuelles créées par l’App.

  Les règlementations imposent la stricte anonymisation des data, cependant les fuites ne sont pas exclues, et une enquête réalisée au Royaume -Uni aurait révélé que certaines applications seraient impliquées dans un partage de data avec Facebook, The Guardian 21/12/2020.

   La FemTech s’intéresse volontiers en priorité aux sujets tabous, gênants, ou du moins perçus comme tels, amenant l’évitement ou faisant redouter jugement moral ou regard inquisiteur des services de santé.

 Mais qu’en est-il réellement sur le plan scientifique concernant ces App ? La bibliographie fait actuellement état d’un manque d’évaluation et de développement de la recherche concernant aussi bien les App que les personnes usagères. Une bibliographie effectuée en introduisant les mots clés menstruations App sur PubMed ne retrouve que quatre références pour l’année écoulée, ce qui est extrêmement faible en regard du nombre de téléchargement de ces App, dépassant plusieurs millions d’utilisateurs. trices sur le plan mondial.

 Quelle leçon nous apporte la contraception digitale ?

Nous notons bien que ces nouvelles techniques connaissent un engouement à la hauteur des capacités marketing de leurs providers. En même temps, la contraception digitale et la collecte massive de data en résultant, renvoient nos systèmes de santé conventionnels à leurs points faibles :

-          Il est encore nécessaire de développer la disponibilité, la bienveillance et l’empathie à l’égard des client.e.s

-          Il est encore nécessaire de renforcer et développer l’éducation en matière de santé sexuelle pour mettre un frein à la diffusion de fausses informations, faux risques iatrogènes et croyances erronées, rendant les personnes vulnérables aux systèmes mercantiles.

-          Il est impératif de repenser le mode de délivrance de la contraception médicale afin de la rendre suffisamment accessible au public

 A l’ère ATAWAD, anytime- anywhere- any device, tout produit non disponible est perçu comme étant dangereux, Younès C. Paquot T 2012 Espace et lieu dans la pensée occidentale Ed La découverte, la pilule est déjà disponible sans ordonnance dans de nombreux Etats, et ce sans catastrophe sanitaire. Il est nécessaire de faire évoluer les réglementations pour redonner à la pilule sa banalité d’usage qui a émancipé plusieurs générations de femmes.

    Enfin, aux systèmes de santé conventionnels de développer de réels partenariats avec le secteur des nouvelles technologies, afin d’assurer aux personnes le meilleur état de santé possible conformément aux ODD 3 et 17 voulus par le programme des Nations Unies.

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