Par Sneiba Mohamed
A la conférence de Rome, dimanche 23 juillet 2023, sur la problématique de l’immigration entre les deux rives de la Méditerranée, la présidente du conseil italien, Georgia Meloni, a accueilli certains dirigeants des pays méditerranéens pour promouvoir un nouveau mode de coopération entre pays d’immigration et pays d’émigration, sur le modèle de l’accord signé par l’UE avec la Tunisie dans le but de freiner l’arrivée de migrants sur le Vieux continent. La Première ministre italienne d’extrême droite a ouvert la conférence en fixant les priorités de ce qu’elle appelle « le processus de Rome ».
D’ores et déjà, la conférence a enregistré un premier hic : l’absence d’acteurs majeurs, dans le pourtour méditerranéen, comme la France, l’Espagne, le Maroc et l’Algérie aux côtés des hôtes de marque de la présidente du Conseil italien : les présidents de la Tunisie Kais Saied, des Emirats arabes unis Mohammed ben Zayed, de la Mauritanie Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président du Conseil européen Charles Michel, le Haut-commissaire du HCR, Filippo Grandi, et des délégués des grandes institutions financières internationales.
Les objectifs fixés par Rome sont : la « lutte contre l’immigration illégale, gestion des flux légaux d’immigration, soutien aux réfugiés, et surtout, la chose la plus importante, sinon tout ce que nous ferons sera insuffisant, une large coopération pour soutenir le développement de l’Afrique, et particulièrement des pays de provenance » des migrants, a détaillé Georgia Meloni.
Pendant la campagne des législatives de 2022 qui l’ont portée au pouvoir, Giorgia Meloni avait promis de « stopper les débarquements » de migrants en Italie. Son gouvernement a depuis mis des bâtons dans les hélices des navires humanitaires, sans pour autant tarir les départs. Selon Rome, quelque 80.000 personnes ont traversé la Méditerranée et sont arrivées sur les côtes de la péninsule depuis le début de l’année, contre 33.000 l’an dernier sur la même période, en majorité au départ du littoral tunisien.
Impliquer la Tunisie moyennant finances
Face à ce constat, Georgia Meloni et la Commission européenne ont pris langue avec la Tunisie depuis quelques mois en promettant des financements si le pays s’engage à combattre l’émigration à partir de son territoire. Bruxelles et Rome ont ainsi signé la semaine dernière avec le président tunisien un protocole d’accord qui prévoit notamment une aide européenne de 105 millions d’euros destinée à empêcher les départs de bateaux de migrants et lutter contre les passeurs.
A Rome, le président mauritanien a prévenu qu’il faudrait porter une attention particulière « aux pays, aux régions confrontés à des situations économiques, politiques et sécuritaires critiques en vue de mieux les accompagner », et prévoir « les ressources financières nécessaires à leur mise en œuvre ».
Les ONG sont en revanche vent debout. Sea-Watch déplore que « l’UE et ses Etats-membres continuent de durcir leurs politiques mortelles d’isolement » tandis que Human Rights Watch estime que « l’Europe n’a rien appris de sa complicité dans les abus atroces commis à l’encontre des migrants en Libye ».
Le président mauritanien a évoqué le caractère global d’un phénomène migratoire qui constitue un défi non seulement pour les pays d’accueil ou de départ mais également ceux de transit.
Devant les personnalités présentes, le président Mohamed Ould Cheikh El-Ghazouani parle, en connaisseur, des enjeux de la problématique « migration – développement » rappelant que ce phénomène, de « portée mondiale », charrie une multitude de défis qu’aucun pays ne peut résoudre seul. « Les migrations impactent de manière multiforme tous les pays, qu’ils soient d’origine, de transit ou de destination et quel que soit leur niveau de développement », assure le président mauritanien. Incontournables dans un monde « ouvert », les migrations régulières impactent certes « positivement le développement dans les pays d’origine et de destination », mais elles constituent un réel danger quand il s’agit de « l’immigration clandestine qui génère souvent des situations humanitaires dramatiques liées à la traite et au trafic d’êtres humains, au mépris de la vie et de la dignité humaine », rappelle le président de la République.
De par son statut de « pays d’origine, de transit et de destination » la Mauritanie « fait face, à l’instar de tous les autres pays, aux défis multiples de la migration ».
Baisse de la migration mais constance des risques de mort
Les chiffres sur la migration dans le pourtour méditerranéen montrent que la conférence de Rome a sa raison d’être, surtout, qu’elle cherche à conjuguer les efforts de l’ensemble des pays impactés par ce phénomène mais aussi des organisations et institutions financières appelées à participer à « l’effort de lutte » contre l’immigration clandestine.
Alors que le nombre de réfugiés et de migrants qui franchissent la Méditerranée pour rejoindre l’Europe est en baisse depuis 2015, ces périples sont de plus en plus meurtriers, révèlent les données du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés.
Depuis le pic de 2015, au cours duquel plus d’un million de réfugiés et de migrants avaient traversé la Méditerranée vers l’Europe, le nombre de personnes qui effectuent ces voyages a connu une évolution à la baisse, et ce avant même la pandémie de Covid-19. En 2021, 123 300 traversées individuelles ont été rapportées, et avant cela 95 800 en 2020, 123 700 en 2019 et 141 500 en 2018.
Malgré cette baisse du nombre de traversées, le nombre de pertes en vies humaines a fortement augmenté. En 2021, quelque 3231 personnes ont été déclarées décédées ou portées disparues en mer en Méditerranée et dans le nord-ouest de l’Atlantique, contre 1881 en 2020, 1510 en 2019 et plus de 2277 en 2018. Un nombre de personnes plus important encore pourrait avoir perdu la vie sur la route à travers le désert du Sahara et dans les zones frontalières éloignées.
Le HCR n’a cessé de dénoncer l’horreur et les dangers auxquels sont confrontés les réfugiés et les migrants qui ont recours à ces voyages. Beaucoup d’entre eux sont des personnes qui fuient les conflits, la violence et les persécutions mais de plus en plus la pauvreté dans des pays en développement qui ont besoin de ressources importantes pour leur mise à niveau économique, seule en mesure de retenir leurs jeunesses.